jeudi 9 janvier 2014

Conversion des Jrais au christianisme et inculturation



 François Quang - année de la foi - 8/2013

  Quand il y a une ou plusieurs nouvelles personnes qui veulent entrer au catéchuménat, le dirigeant de la communauté de leur village – appelé akõ-khul – les emmène au-devant de l’assemblée dominicale en leur demandant : “Ih plơi hlơi? Ih nao pơ anai, ih kiang hgơt ?” (« De quel village viens-tu ?  Que veux-tu ici ?»). La plupart répondent : «Kâo su tơlơi hiăm » (« Je cherche du bien »). Ils se mettent alors à genoux. La communauté prie pour eux par des prières spontanées. Pour terminer ce rite d’entrée dans la communauté chrétienne, les akõ-khul du village viennent leur serrer la main. Ils continuent à accompagner ces catéchumènes jusqu’à leur baptême lors de la nuit pascale.

Les questions sont nombreuses : Que signifie exactement « le bien » qu’ils souhaitent ? Pourquoi veulent-ils se faire baptiser alors que le climat religieux dans leur région est, à vrai dire, critique, et que le lieu du rassemblement dominical se résume à une toiture - toutes les célébrations se passent presqu’en plein air ? Qu’attendent-ils de la communauté catholique ? Quelle orientation suivre alors pour une pastorale catéchétique ? Comment faire alors que le pasteur n’est pas de même culture que l’ethnie à évangéliser et que les conditions sont loin d’être favorables à l’évangélisation ?

Les vagues de conversion au christianisme se succèdent pourtant, de nouveaux catéchumènes répondent à l’appel de l’Évangile. Ce texte ne souhaite que présenter quelques échos du catéchuménat des adultes dans la région de Yali, et, à partir de là, proposer quelques réflexions sur la pratique de la pastorale catéchétique d’ici.

La situation.


La région de Yali est une vaste région au pied de la chaine de montagnes Trường Sơn, dans les Hauts Plateaux du centre du Vietnam. Le lien social et les relations entre les Jrai[2] et les Kinh[3] sont aujourd’hui précaires[4], surtout dans cette région. Après 1975[5], c’est la première fois qu’un prêtre est officiellement présent dans cette zone montagneuse[6].

Comme il existe depuis quelques temps plusieurs petites communautés chrétiennes Jrais dans la région, j’ai tenté de les visiter. Ces visites pastorales ne se font pas sans embêtements de la part des autorités, malgré une autorisation écrite des municipalités. En fait, toute mission chrétienne, et même tout acte de foi deviennent ici sujet de suspicion. L’enjeu de l’église locale est alors de démontrer que ses activités promeuvent l’harmonie[7] sociale désirée. « Bien être dans la religion, bien être pour la société » : c’est l’adage souvent évoqué dans les rencontres entre agents du gouvernement et responsables de l’Église locale. Par contre, la pastorale catéchétique ici doit viser la façon de vivre la foi en acte et non comme une philosophie ou une idéologie.

Les conversions de Jrais dans ces deux dernières décennies, en particulier dans la région de Yali, dans un moment difficile, sont une invitation à imaginer une manière neuve de proposer la foi aux habitants du lieu.


Le catholicisme dans cette région est actuellement minoritaire. Il faut du courage à la communauté chrétienne qui cherche un « savoir être » ou plutôt un « devoir être ». L’acte de devenir chrétien exige pour les Jrais montagnards de s’engager vivement pour retrouver leur identité communautaire, de créer un lien solidaire dans leur village et avec d’autres villages aux alentours. Les catholiques Jrais osent vivre leur foi chez eux sans crainte, et les réunions dominicales, dans les maisons privées des villages et/ou dans un lieu commun à plusieurs villages, deviennent régulières. C’est la meilleure manière de contrer les oppositions[8].

Par exemple, lors de la première messe au village Yăng, avec une trentaine de personnes, plusieurs « agents » étaient présents. La messe finie, ils sont entrés et l’un d’eux a fait un long discours, en langue des Kinh, citant le décret sur la religion qui interdit les abus des religions. Après ce discours formel, à peine compréhensible pour les participants, tout le monde a bu de la bière. La situation a changé subitement et on échangeait cordialement en Jrai, leur propre langue, comme le font des membres du village. Depuis, la maison de cet akõ-khul est devenue la maison-église où les chrétiens se réunissent régulièrement[9]. Le nombre des chrétiens a doublé en un an[10].

Au village Wân, la messe est célébrée dans la cour de la maison de l’akõ-khul, en plein air, mais discrètement. Il s’agit d’une assemblée dominicale, avec la messe toutes les deux semaines. Le nombre des chrétiens s’agrandit vite : une cinquantaine de nouveaux baptisés chaque année. L’akõ-khul fait alors construire une nouvelle maison-église, derrière sa maison, pour recevoir les chrétiens de deux villages voisins. Une collecte dans la communauté de ces villages est lancée. Mais vient vite l’interdiction du gouvernement. L’akõ-khul du village propose donc de se déplacer chez son cousin pour continuer à célébrer la messe. Ainsi une nouvelle maison-église est établie chez lui pour rêcevoir la communauté quelques temps après. À l’aide de cet akõ-khul plein d’imaginations, la jeune communauté se développe sans cesse et, en peu de temps, la moitié des familles du village Wân se sont converties au catholicisme. Après la mort subite de ce chef actif,  un chrétien du village s’est engagé au travail de l’akõ-khul défunt, deux catéchumènes l’ayant rejoint pour partager la responsabilité, deux akõ-khul apprentis dont l’un a été baptisé l’année précédente et l’autre vient d’être baptisé à Pâques dernier. Le nombre des chrétiens va en augmentant chaque année, si bien que la maison-église doit être agrandie.

Plus difficile était la situation des chrétiens Jrais du village Dôch Ngõ, à côté de la frontière du Cambodge. Avec deux autres villages Jrais, ils sont presque coupés du monde. Cette petite communauté catholique faisait le trajet d’une cinquantaine de kilomètres – souvent à pied – pour rejoindre la paroisse de Rơhai[11], tous les Noël et Pâques. À mon arrivée, je visite ce village en hâte. Je dois y célébrer la messe en plein air. Après quelques mois, il y a une quarantaine de villageois qui veulent rejoindre la communauté chrétienne. Mais les difficultés arrivant vite de la part des autorités, les nouveaux catéchumènes ont sans doute eu peur des menaces et ils se sont retirés silencieusement. Après une dizaine de fói d’arrestations du pasteur, un climat de grande tension a régné dans cette communauté chrétienne. Le nombre des chrétiens réunis pour la messe dans la maison de l’akõ-khul, a alors diminué nettement, une vingtaine de participants. Un an et demi après, le climat s’est tranquillisé et les chrétiens se sont réunis de plus en plus nombreux. Les catéchumènes sont revenus à l’assemblée dominicale et leur nombre augmente sans cesse. Ils ont même réservé un terrain pour une future église. Les fruits de la mission restent stables cette fois.

Enfin, un terrain pour l’assemblée dominicale chez les chrétiens Jrais de la région de Yali a été reconnu par les agents du gouvernement. Une église y sera construite et une future paroisse sera créée pour les chrétiens Jrais. Le climat rude et dur ne peut pas empêcher leur volonté de former une communauté religieuse solidaire. N’est-ce pas là le don, la grâce gratuite venus de la Parole de Dieu ?

Quelques initiatives pour une inculturation pluridirectionnelle


Les Jrais sont animistes. Ils vouent des cultes à différents dieux, dont certains font partie de leur coutume, et créent leur identité communautaire. Avec les changements économiques, sociaux et la montée du christianisme dans la société, l’exigence d’une nouvelle identité collective des Jrais se forme. L’évangélisation des Jrais ne vise certes pas à remplacer leur tradition par celle du catholicisme. Des initiatives sont donc à imaginer.

Une évangélisation de bouche à oreille


La Parole de Dieu est gratuite et un don ouvert à tous. Cela est apprécié par les nouveaux chrétiens Jrais. Le fait que ce soient des chrétiens laïcs qui les évangélisent est une chance pour l’inculturation de l’Évangile. Comme aux premiers temps du christianisme, l’évangélisation de cette région se fait en effet de bouche à oreille. C’est le cas typique de la communauté chrétienne du village Jruang, un village rude et dur pour l’évangélisation. Toutes les tentations d’évangéliser ce village, même assurées par les Jrais, ont été embêtées. Un jour, l’akõ-khul d’un village voisin, Kênh Chop, m’a présenté un jeune homme qui m’a invité chez lui ; un groupe de villageois m’y attendait et une rencontre solennelle était préparée : du poulet grillé et les plats d’herbes dans la maison sur pilotis, des pots de l’alcool de riz traditionnelle sous les arbres dans la cour. Le père du jeune homme est le sage du village. Quant au jeune homme, il devient l’apprenti non-baptisé dans l’assemblée des akõ-khuls. Les akõ khuls de Kênh Chop sont alors entrés dans ce village pour faire la catéchèse aux gens. Une nouvelle communauté chrétienne a été établie et baptisée à l’église paroissiale l’année suivante.

L’arrivée des catéchumènes du village Dôch Yố, situé de cinq kilomètres de Dôch Ngõ, est un autre exemple de l’attrait pour l’Évangile dans la région. Quand la tension s’y est un peu apaisée, dix personnes de trois familles ont rejoint la communauté de prière dans la maison-église du village Dôch Ngõ. Ils ont été baptisés à la dernière fête de Pâques. Cette année 2013, il y a trente-neuf nouveaux catéchumènes qui viennent de s’inscrire pour le catéchuménat. L’akõ-khul de Dôch Ngõ et son fils, à tour de rôle, viennent dans ce nouveau village, les aident à se rassembler pour la prière et la catéchèse.

Il existe des familles où seuls les grands parents ou seuls les enfants sont baptisés. Ces enfants sont parfois emmenés à la communauté par l’un de leurs parents pour être baptisés, soit parce qu’ils estiment que les activités de la paroisse font du bien à leurs enfants, soit qu’ils attendent un moment propice pour se faire baptiser à leur tour. Pour les adolescents, ce sont eux qui décident de s’engager dans les activités chrétiennes. Ainsi n’est-il pas rare de rencontrer des familles mixtes : les uns catholiques, les autres païens et/ou protestants. Cela exige des akõ khuls et du pasteur d’envisager une pastorale d’accueil chaleureux, de témoignage persuadant, et d’être vigilants aux cas où l’on demande le baptême juste avant de mourir[12].

L’annonce de la Bonne Nouvelle a sans doute apporté quelque chose de neuf à ces villages. Les nouveaux catéchumènes nous disent qu’ils sont heureux d’être entrés dans la communauté des croyants et mènent une vie nouvelle. Se pose alors la question : comment les missionnaires et l’Église locale peuvent s’adapter aux us et coutumes des Jrais ? C’est un travail de longue haleine.

Une catéchèse à partir des us et coutumes


Pour évangéliser la communauté des Jrais, qui sont animistes, les missionnaires doivent aider cette nouvelle communauté chrétienne à quitter les résistances qui viennent de concepts et de visions issues de leurs croyances traditionnelles et de fausses représentations de l’Église locale. C’est un travail qui va de pair avec l’inculturation et qui demande des échanges réciproques.

Il existe dans la mentalité des Jrais un dieu suprême appelé Ơi Adai[13]. En utilisant ce nom pour désigner le Seigneur Dieu des catholiques, il est facile de persuader les Jrais de l’accepter. C’est ce que Jacques Dournes, premier missionnaire étranger, a fait. Les prêtres locaux l’ont suivi. Cependant, la réalité a montré les inconvénients de cette manière de faire. Dans les réponses à la catéchèse, presque tous les catéchumènes Jrais disent en effet qu’ils connaissent Ơi Adai[14] ! Pour eux, le Seigneur de l’Évangile et Ơi Adai sont identiques ! J’ai donc proposé aux responsables des communautés chrétiennes Jrais de changer cette appellation « Seigneur » dans la langue Jrai. Car Ơi Adai chez les Jrais n’est pas Yahvé Dieu, révélé aux Hébreux sur le mont de Sinaï. Si les Jrais connaissent Yahvé Dieu, sans l’intermédiaire de Jésus, l’Évangile deviendrait superflu[15] ! Ce changement d’appellation mérite et favorise de nouvelles instructions catéchétiques pour les nouveaux chrétiens.

Les chants chrétiens dans les célébrations liturgiques Jrais sont composés, en suivant de près les mélodies des gongs traditionnels[16]. Cela permet aux Jrais, qui ne sont pas habitués aux expressions abstraites des rites chrétiens, de prendre des initiatives dans les cérémonies liturgiques en exprimant leurs prières et la louange de Dieu avec les expressions de leurs corps. La mélodie des gongs entraîne une danse collective. Une fois entrés dans les célébrations liturgiques, les chants, les gongs et la danse collective créent un espace divin et solennel. Les gongs et la danse traditionnels des Jrais sont joués par plusieurs personnes formant des groupes et il arrive que certains joueurs païens rejoignent le groupe des gongs et/ou de danse dans l’assemblée dominicale avant de s’inscrire au catéchuménat.

Une autre difficulté est la croyance des Jrais en l’âme des morts récents – ce sont comme des revenants -, restant quelque part auprès des leurs. Ils ne peuvent pas quitter en paix les leurs sans le pơthi[17]. Certaines personnes, surtout les plus âgées, attendent d’accomplir leur devoir envers leurs proches récemment morts, le rite de pơthi, avant d’entrer dans la communauté chrétienne. Les évêques ont autrefois interdit la pratique du rite pơthi chez les chrétiens ethniques. Avec la montée de l’inculturation dans l’évangélisation en Asie, la question est laissée ouverte: la pratique du pơthi est-elle permise ?

Au niveau de la paroisse, le projet pastoral catéchétique à plusieurs étapes vise à répondre à la question : Comment faire avec le pơthi ? Est-ce nécessaire de garder cet acte de solidarisation interne des villages ? Le pơthi ne peut certes pas être encouragé par l’Église catholique. Car pour la foi chrétienne, les âmes des défunts ne restent pas dépendantes des vivants, ni n’ont pouvoir sur eux, ni ne disparaissent après un culte de pơthi. La doctrine de l’Église sur la communication des saints devrait remplacer la notion du « monde après la mort » chez les Jrais, où les âmes des morts récents sont une menace pour les vivants. L’amour et la charité chrétienne entre les vivants et les morts devraient remplacer la peur qui empêche ces gens de fréquenter le cimetière, même pour assister à la dernière cérémonie de ceux qui viennent de les quitter. Les chrétiens Jrais doivent apprendre à vivre une solidarisation interne plus responsable dans le christianisme, non seulement avec leurs villageois décédés, mais encore avec les proches du défunt qui restent en vie. Pour éloigner cette peur traditionnelle du monde des absents[18] des animistes Jrais, la catéchèse seule est insuffisante. Il est besoin de recourir à une « liturgie catéchétique ».

Une liturgie catachétique et kérygmatique


La liturgie catéchétique est comprise ici comme l’ensemble des rites, des prières et des célébrations chrétiennes au service de la communauté paroissiale, en vue d’approfondir quelques enseignements de la foi chrétienne. Elle consiste à éclaircir certains points de vue chrétiens en controverse avec les us et coutumes de la communauté du lieu, tout en respectant les normes de l’Église. Quand la liturgie catéchétique se concentre sur Jésus ressuscité, on a une liturgie catéchétique et kérygmatique. Ces célébrations peuvent être sacramentelles ou non et n’exigent pas nécessairement la présence du prêtre. Ainsi, les akõ khuls, suivis des chrétiens du lieu, peuvent présider les derniers rites de funérailles chez le mort et au cimetière. C’est là la différence entre la coutume Jrai et les habitudes des chrétiens montagnards. Ceci montre que les chrétiens Jrais ont surpassé la peur des dieux et des âmes des défunts au cimetière. La liturgie annuelle de commémoration des défunts permet à ces chrétiens de manifester un acte de foi permanent en la communion des âmes des morts et en la vie éternelle. Après cette célébration liturgique, les akõ khuls reçoivent chacun un grand bâton d’encens allumé au cierge pascal de l’autel. Tout le monde part alors pour le cimetière de leur propre village, où l’akõ khul anime la prière pour tous les morts avec des chants et des mélodies traditionnelles de gongs. Pour terminer ce rite de commémoration des défunts, chacun est invité à prier individuellement devant les tombeaux tout en mettant un bâton d’encens en vue de rester en communion avec ces âmes dans la prière.

Cette célébration liturgique ne peut remplacer le pơthi, car le pơthi s’ouvre à toute la communauté Jrai, tandis que les rites de commémoration des défunts ne restent que dans le cercle de la communauté chrétienne. Ces nouveaux chrétiens, qui se rassemblent autour de leur akõ khul pour les rites de funérailles[19], témoignent qu’à travers ces célébrations liturgiques, leur foi en Jésus ressuscité les a aidés à surpasser leur peur traditionnelle et à créer une identité collective à part mais en s’ouvrant à tous. De nouveaux catéchumènes sont attirés par cette solidarisation interne[20]. Récemment, dans le village Yah, une vieille femme catholique vient de quitter ce monde. Comme il y a seulement quelques baptisés de ce village, et que cette femme est la seule baptisée chez elle, les chrétiens du village Wân assurent les rites de funérailles. Après l’enterrement, toute la famille du fils du défunt a décidé de se convertir au christianisme.

Sans doute la présence des chrétiens pour les cérémonies liturgiques aurait pu remplacer une habitude païenne de ces montagnards : chercher un « mơm »[21] au moment difficile de leur vie. Ce n’est pas une surprise dans la paroisse de savoir qu’il existe des « catéchumènes en attente » d’être baptisés au dernier moment. Ce sont ordinairement des vieillards, des handicapés, des gens gravement malades qui ne peuvent pas rejoindre l’assemblée dominicale pour plusieurs raisons. La tâche des akõ khuls est d’améliorer cette situation.

Les nouveaux-nés Jrais ne sont pas encore considérés comme de « vrais hommes » jusqu’au rite du « souffle à l’oreille[22] ». Le rite consiste à souffler dans les deux oreilles du bébé en citant certaines paroles magiques. Et l’enfant reçoit le bơngach jua, « souffle de l’esprit », qui lui donne de la sagesse pour passer à la vie d’un homme complet, c'est-à-dire avec un corps et un esprit propres. Ce rite marque la présence réelle de l’enfant dans le village. Si l’enfant est mort avant ce rite, on l’enterrera à minuit, sans prévenir personne : l’enfant retournera dans son monde. Autrement, il faut avoir des rites de funérailles comme des adultes. Sans doute les « pagano-chrétiens » Jrais sont tellement inconsciemment influencés par ce rite qu’ils n’apportent leur bébé à la communauté que pour demander la bénédiction du prêtre et de la communauté. 

L’Ordo Missa de l’Église a heureusement une messe priée pour la mort du nouveau-né, et de celui qui n’est pas encore baptisé. Cette liturgie chrétienne a persuadé ces nouveaux chrétiens de changer leur coutume traditionnelle : le chagrin de la famille en deuil est soulagé, il n’y a plus d’enterrement à minuit et la communauté chrétienne se réunit officiellement pour les rites de funérailles du petit enfant décédé. Cependant, le baptême des petits enfants ne semble pas encore apte à remplacer le rite du « souffle à l’oreille ». Peut-être faut-il imaginer quelque chose d’autre pour le réaliser.

La liturgie catéchétique a contribué, pour sa part, à l’évangélisation des Jrais. Le risque serait de chercher à baptiser les rites païens. L’inculturation au niveau de la liturgie est à initier  tout en respectant les occasions et cérémonies collectives qui visent à consolider la solidarisation interne chez le peuple Jrai, qui devient de plus en plus précaire devant une société multiculturelle et multiethnique.

Pour continuer à réfléchir


Quand la foi chrétienne intéresse et saisit de nouveaux catéchumènes, le pasteur doit y voir une chance pour l’évangélisation. La conversion en masse de catéchumènes ethniques a créé une nouvelle église des montagnards du lieu. Mais la communauté naissante exige une pastorale délicate et difficile. Les difficultés économique, sociale et politique demandent aux missionnaires de l’imagination pour favoriser un meilleur accueil de la foi en acte, ce qui correspond à ces montagnards qui n’ont pas l’habitude des idées abstraites. La formation et l’accueil de ces chrétiens nouvellement convertis – qui sont issus d’une culture différente de celle des évangélisateurs – restent un travail de longue haleine. Grande est alors la tentation de baptiser les us et coutumes des païens, sous prétexte d’une inculturation nécessaire ou, à l’inverse, d’introduire des pratiques traditionnelles de la foi chrétienne pour ne pas risquer l’hérésie.

La pastorale catéchétique dans cette communauté « pagano-chrétienne » joue un rôle vital. Elle aide à développer une communauté chrétienne par village, et favorise l’annonce de l’Évangile dans les situations difficiles. Par contre, quand la foi est vécue ordinairement dans la clandestinité, les activités religieuses se passent en absence du prêtre sur le long terme. Ce qui pourrait créer des communautés chrétiennes sécantes, une paroisse en miettes. La réconciliation, le rassemblement ecclésial sont alors à négocier avec les akõ khuls du lieu. Cela exige des pasteurs de se rendre compte de l’identité collective engendrée par l’irruption du christianisme et à imaginer une pastorale compatible et pertinente.

Les difficultés initiales peuvent présenter une chance pour l’Évangile. N’est-ce pas le Jésus de la croix qui accompagne le missionnaire ? Les fruits de l’évangélisation de cette région sont aussi sept jeunes vocations Jrai : trois garçons et trois filles en maison propédeutique, un autre vient de faire vœu chez les franciscains. Cheminant avec Jésus sur la Croix, on ne se sent jamais seul, mais en lien avec une multitude de croyants dans le monde entier.


[1] Le Père François Quang est curé dans la région de Yali, Vietnam, depuis 2006. Avant d’être ordonné, il a travaillé pendant 15 ans comme médecin dans la léproserie de Bến Sắn. Actuellement il est le responsable de la commission catachétique du diocèse Kontum. Il donne ici un écho de la conversion des Jrais, ethnie de montagnards minoritaire dans cette région.
[2] Jrai est une minorité ethnique dans les Hauts Plateaux au centre du Viet Nam. Ils se rassemblent en grande partie dans la province de Gia Lai (la carte de cette région – Chư Pah : Ia Ly, Ia Phi … En ligne sur < http://gis.chinhphu.vn/>).
[3] Kinh est la population la plus nombreuse, et donc dominante, au Viet Nam. Et j’y’appartiens.
[4] Envoyé comme curé dans cette région, je ne savais pas que la situation y était très délicate, avec une église nouvellement reconstruite pour les chrétiens Kinh. La situation est plus compliquée pour une quarantaine de villages Jrai qui sont parsemés dans un espace montagneux d’une cinquantaine de kilomètres de diamètre. La plupart des montagnards âgés du lieu sont des vétérans militaires communistes en retraite.  Les Jrais réclament de récupérer leur vaste ancien terrain paroissial, un problème social irrésoluble. Les gens ayant perdu leur terrain ancestral forment un groupe de gens dit « les citoyens injustement traités ». Dans les années 2002 et 2004, de grandes manifestations des montagnards des Haut Plateaux ont entraîné des arrestations, des exils volontaires (ces Jrais ont été accueillis par les états-Unis), des morts et des blessés.
[5] Date de l’arrivée du régime communiste.
[6] Sans doute souhaite-t-on que ma présence puisse engendrer une certaine harmonie dans ce lieu. Cette présence reste néanmoins délicate et fragile.
[7] L’harmonie est le principe de l’idée de Confucius : il faut chercher à s’entendre pour obtenir la paix. Les asiatiques préfèrent le mot « harmonie » au mot « stabilité sociale »
[8] Dans les premiers temps de mon arrivée à la paroisse, je ne savais pas encore quelle direction prendre. Progressivement, plusieurs maisons-églises dans des villages Jrais se sont alors établies « illégalement ». Chaque communauté a ainsi fait son trajet propre plus ou moins difficile.
[9] Selon la coutume des chrétiens montagnards de cette région, la réunion de prière se fait trois fois par semaine : mercredi, samedi soir et dimanche matin.
[10] Autre difficulté rencontrée : l’akõ-khul du village annonce que sa maison natale, utilisée comme maison-église, appartient désormais à son frère qui interdit à la communauté chrétienne de s’y réunir. Un mois plus tard, un brave chrétien du lieu – qui vient de faire bâtir une nouvelle maison – a cédé son ancienne pour faire la maison-église du village. C’est l’un des cas rares où une communauté chrétienne montagnarde se réunit pour la messe chez un non-akõ-khul.
[11] C’est une paroisse mixte de Bahnar et de Jrai. Mais la liturgie est célébrée en Bahnar. Les chrétiens de Dôch sont de cette paroisse avant mon arrivée ici.
[12] Il y a quelques années, le chef du Front Uni National de la commune Kênh, avant de mourir, a demandé le baptême. Il a même prié les siens de faire venir le prêtre pour célébrer la messe de funérailles chez eux. Cela a étonné les cadres locaux du parti au pouvoir, qui ne comprennent pas comment un tel fonctionnaire communiste est devenu chrétien. De même, plusieurs vétérans militaires Jrais ont été baptisés à la fin de leur vie.
[13] Cf. Fr. Pham Ngoc Quang, « Le déblocage de la résistance à l’évangélisation des Jrais et la montée des Yao phu », Mémoire pour la maitrise en pastorale catéchétique à ISPC, Paris, juin 2005,
[14] Les adolescents dans certains villages actuels mélangent entre yang  et yang adai, ơi adai. Mais ils affirment l’existence d’un culte de ce yang à la maison commune du village, pour obtenir la santé et le bonheur. En fait, ce rite est félicité et protégé par le gouvernement local, sous prétexte de promulguer la culture des ethnies, pour attirer les touristes étrangers.
[15] Cette intervention a été acceptée. Dans le nouveau Testament en Jrai qui vient de sortir, l’ancienne appellation Ơi Adai est remplacée soit par Khua Yang Adai, soit par Khua Adai. 
[16] Les gongs, Wikiethnies, Ethnie Jarai – Viet Nam, [En ligne], disponible sur http://jarai.wikiethnies.org/index.php?title=Th%E1%BB%83_lo%E1%BA%A1i:Gongs, consulté le 14/06/2013
[17] Le pơthi complète les rites de funérailles chez les ethnies des Haut Plateaux. Le vieux du village déclare et fixe le jour de pơthi. Les familles qui ont des proches récemment morts s’inscrivent au pơthi en préparant des bœufs, des truffes, des porcs pour cette fête selon leur possibilité. C’est une grande fête qui a lieu au cimetière. Tous les gens du village et ceux des villages voisins viennent y assister. Chacun apporte quelque chose à manger, de l’alcool. Au moment du culte, on tue les bœufs, les truffes, les porcs sur place et on les partage, tandis que les hommes jouent des gongs, les filles dansent pour dire l’adieu définitif aux morts et aussi pour chasser les mauvais esprits de la maison des proches du défunt. La fête dure de trois à sept jours et nuits selon la richesse des gens. C’est un culte des morts, et aussi un rite social à accomplir pour annoncer aux villageois la fin du devoir envers les morts. Ces devoirs des vivants les obligent à visiter de temps à autre les morts récents de la famille et à leurs donner quelque chose à manger : un peu de soupe sur une feuille devant le tombeau. Sans cela, des malheurs et des dommages causés par ces revenants arriveraient. C’est ainsi que le cimetière – un monde terrifiant des revenants - se situe toujours à côté du village. Après ces rites, le mari veuf ou la femme veuve peuvent se remarier, tandis que les âmes des morts disparaissent pour toujours.
[18] Monde des absents = “Dêh atâu”en Jrai, désignant le lieu des âmes des défunts – bơngach – avec respect mêlé de peur et de reconnaissance.
[19] Le prêtre n’est présent que pour la messe de funérailles.
[20] La communauté chrétienne Jrai doit assurer le travail de pompe funèbre pour ses membres.
[21] Ces gens croient que la maladie grave ou leurs difficultés de leur vie doivent aux mauvais esprits. Ils apportent les présents - des poules ou une chèvre - et demandent un sage ou un sorcier d’un village d’accepter d’être son « mơm » - mot-à-mot c’est nourricier, comme parrain ou marraine – en espérant soit que la renommée de celui-ci (ou celle-ci) chasserait de leur vie l’influence des démons, soit que les mauvais esprits se désorienteraient par ce changement. En revanche, ils doivent fournir à vie les nécessaires à leur « mơm ».
[22] L’enfant est de un à deux ans. C’est une fête de famille mais aussi l’annonce officiellement la présence de l’enfant dans le village. La famille présente des cadeaux au célébrant - des poules ou des coqs - et un repas festif aux alentours, selon la capacité de la famille. La plupart des jeunes actuels ont une vague idée sur le sens de ce rite. On peut mieux comprendre ce rite en se rendant compte de la précarité des nouveau-nés montagnards : leur mortalité est haute et la plupart d’entre eux – si l’on ne veut pas dire tous – sont en état de malnutrition permanente. Ainsi le rite marque-t-il pour le petit enfant une grande capacité de survivre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire